- Pourriez-vous vous présenter ?
- Vous venez de sortir le livre « Tout s’est bien passé, merci : récit sur l’infertilité », par quels parcours êtes-vous respectivement passées pour fonder une famille ?
- Avez-vous choisi de parler de vos parcours à votre entourage lorsque vous avez entamé les processus de PMA et GPA ?
- Avez-vous ressenti des différences de traitement lorsque vous évoquiez chacune vos parcours ?
- Avez-vous fait face à des préjugés concernant la PMA et la GPA ?
- Pensez-vous que ces tabous autour de la PMA et de la GPA sont encore très présents aujourd’hui ? Si oui, à quoi sont-ils dus selon vous ?
- Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous ouvrir sur vos parcours personnels à travers ce livre ?
- Quels conseils donneriez-vous aux proches des personnes concernées par ces parcours, afin qu’ils puissent devenir de meilleurs aidants ?
Pourriez-vous vous présenter ?
Caroline Vigoureux : Je suis Caroline, je suis journaliste à L’Opinion. J’ai 37 ans, j’ai un fils et j’attends mon deuxième enfant.
Julie Fichera : Moi c'est Julie, j’ai 37 ans, je travaille dans la culture et je suis la maman de Rose, 3 ans.
Vous venez de sortir le livre « Tout s’est bien passé, merci : récit sur l’infertilité », par quels parcours êtes-vous respectivement passées pour fonder une famille ?
Caroline : J’ai essayé pendant plus d’un an d’avoir un enfant, sans succès. Nous avons donc fait des tests d’infertilité et nous avons découvert un problème de mobilité des spermatozoïdes de mon compagnon. Ce problème n’était pas grave mais il a permis de comprendre pourquoi je ne tombais pas enceinte. Le gynécologue qui nous suivait nous a proposé d’entrer dans un parcours PMA et d’avoir recours à une insémination, qui est beaucoup moins lourde médicalement parlant qu’une FIV. Pour l’insémination, il faut un recueil de sperme en laboratoire, suivi d’un dépôt à l’aide d’une pipette dans l’utérus, après stimulation ovarienne. Nous avons eu de la chance car je suis tombée enceinte dès la première insémination.
Notre parcours s’est un peu compliqué par la suite car, en raison de la stimulation ovarienne que j’avais faite, j’étais enceinte de jumeaux. Cependant nous avons découvert à l’échographie des 3 mois qu’un des jumeaux était atteint de graves malformations et souffrait d’une trisomie 21 très sévère. Nous avons donc eu recours à une interruption médicale de grossesse. Ça a été un moment très douloureux et nos sentiments étaient très ambivalents, car nous avions la joie d’attendre un enfant qui allait bien, et la souffrance de devoir faire le deuil du deuxième.
Julie : Pour fonder notre famille, nous avons choisi avec mon compagnon la GPA, car cette pratique répondait à notre problème d’infertilité. A 16 ans j’ai appris que je ne pourrai pas porter d’enfant du fait d’une malformation congénitale rare caractérisée par une absence d’utérus, le syndrome MRKH. Ayant un cycle ovarien classique, nous pouvions néanmoins avoir un enfant qui était génétiquement le nôtre. Nous avons choisi les États Unis et la Californie, qui est l’état pionnier de la GPA et où cette pratique est parfaitement encadrée légalement.
Avez-vous choisi de parler de vos parcours à votre entourage lorsque vous avez entamé les processus de PMA et GPA ?
Caroline : J’en ai parlé à mon entourage le plus proche mais pas au second cercle, c’est-à-dire mes collègues ou d’autres amis. Avec Julie, on a justement réalisé qu’on répondait fréquemment aux personnes nous questionnant sur nos grossesses : « Tout s’est bien passé merci », par pudeur, par gêne et parce-que c’était plus simple. On faisait semblant et on alimentait sans même nous en rendre compte le tabou de l’infertilité.
Julie : Pour mon conjoint et moi, nos familles respectives et nos cercles intimes ont été un véritable soutien. Dès le départ, nous les avons mis dans la confidence. De mon côté j’ai grandi avec mon infertilité, ma famille connaissait donc les possibilités qui s’offriraient à moi si je décidais de devenir mère. Du côté de mon conjoint, la nouvelle a été bien accueillie et nos choix parfaitement compris. Je suis consciente que la GPA questionne beaucoup. Mais notre entourage nous connait et savait que cette décision était mûrement réfléchie. Ils nous ont accompagné avec bienveillance et pudeur durant ces quatre années.
Avez-vous ressenti des différences de traitement lorsque vous évoquiez chacune vos parcours ?
Caroline : La grosse différence est que la PMA est très fréquente en France, un couple sur six est concerné par l’infertilité et peut donc avoir recours à la PMA. Julie a eu recours à la GPA, qui est illégale en France et très clivante. Mon parcours était donc plus « classique ». C’est aussi en comparant nos parcours que j’ai développé un sentiment d’injustice par rapport à ce que vivait Julie, je n’ai par exemple rien déboursé pour ma PMA alors que la GPA a été très coûteuse pour elle. On raconte justement dans le livre qu’on a toutes les deux vécu des stimulations ovariennes, elle en amont du prélèvement des ovocytes, moi avant l’insémination. Il se trouve que je ne connaissais pas le coût de ces piqûres car j’avais simplement sorti ma carte vitale. Julie, elle, a dû débourser 2000€ pour cette stimulation… L’obstacle financier est énorme.
Le regard des autres sur la PMA et la GPA n’est pas le même non plus. Je me suis beaucoup questionné à ce sujet, je me suis demandé pourquoi la société m’offrait cette possibilité quand elle la lui refusait ? En quoi mon désir d’enfant et d’être mère était plus légitime que le sien ?
Avez-vous fait face à des préjugés concernant la PMA et la GPA ?
Julie : Je ne dirais pas des préjugés mais plutôt de la maladresse. La GPA est une pratique encore à la marge et peu connue. Les gens se questionnent beaucoup sur le lien avec la femme porteuse et son statut, ce qui est tout à fait légitime. Le sujet est clivant, tout le monde a un avis sur la question, même sans réellement connaître les tenants et aboutissants. J’avais très peur du jugement ou des avis des personnes sur cette question. J’ai donc opté pour le silence. Hormis avec mon entourage proche, je n’évoquais jamais le sujet. Même si je suis consciente que j’alimente moi-même le tabou, je remarque tout de même qu’il est encore difficile de parler ouvertement des problèmes que l’on rencontre pour avoir un enfant. Comme si avoir et vouloir un enfant ne devait être que merveilleux.
Caroline : La question de l’infertilité reste encore taboue. Même si on en parle plus qu’avant, il reste effectivement cette idée communément admise selon laquelle la grossesse et l’idée d’avoir un enfant n’est qu'heureux. Ça l’est évidemment, le fait d’être mère est incroyable et indescriptible, mais on s’est rendu compte qu’on alimentait aussi cette croyance et ce tabou de l’infertilité en répondant « Tout s’est bien passé merci » de manière systématique et mécanique.
Pensez-vous que ces tabous autour de la PMA et de la GPA sont encore très présents aujourd’hui ? Si oui, à quoi sont-ils dus selon vous ?
Julie : Pour moi, l’infertilité d’un point de vue médical n’est plus trop taboue. On en parle avec des chiffres et des termes scientifiques assez ouvertement, c’est un sujet d’actualité. En revanche, je pense que la douleur et les sentiments associés sont encore tabous. Lorsque le parcours pour avoir un enfant est compliqué, les choses sont encore silencieuses. Il existe peu d’aménagements professionnels par exemple pour ces parcours qui impactent beaucoup le quotidien. Et puis ça reste un sujet intime qui reste difficilement partageable au plus grand nombre lorsqu’on traverse ces périodes difficiles.
Caroline : Concernant la GPA surtout, le tabou est encore total. On ne vit pas dans une société assez mature pour aborder ce sujet de manière dépassionnée. On a bien conscience avec Julie que la GPA est un objet politique très clivant et notre livre n’est pas un plaidoyer politique en faveur de la GPA, mais on souhaitait raconter la complexité du parcours. Selon moi la puissance du témoignage de Julie tient aussi au fait qu’elle raconte que tout n’est pas merveilleux dans la GPA.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous ouvrir sur vos parcours personnels à travers ce livre ?
Caroline : On souhaitait raconter tout l’ascenseur émotionnel précédant l’happy end qu’on a toutes les deux vécue en ayant des enfants. Ça nous semblait important et nécessaire pour rompre le drame trop souvent invisible et silencieux que peut être l’infertilité.
Julie : Pendant ces quatre années de combat, je me suis souvent sentie très seule et incomprise de celles et ceux qui suivaient notre parcours. Je me suis beaucoup renfermée et j’ai finalement moi-même alimenté le tabou sur cette question. Il fallait accepter la tristesse et le fait que vouloir un enfant peut être merveilleux et douloureux à la fois et ne pas avoir honte de ce qu’on peut ressentir. Avec le recul, je me suis dit qu’il était important de partager ce type d’expérience.
Quels conseils donneriez-vous aux proches des personnes concernées par ces parcours, afin qu’ils puissent devenir de meilleurs aidants ?
Caroline : Je dirais de proposer aux personnes vivant ces parcours d’en parler parce-que c’est vraiment des parcours durant lesquels on se sent assez seul. Quand on n’arrive pas à avoir un enfant on développe souvent un sentiment de honte assez inavouable. Quand on est une femme entre 30 et 35 ans et qu’on essaie d’avoir un enfant, on a bien souvent des copines autour de nous qui tombent enceintes les unes après les autres. On a l’impression que ce qui est facile, naturel et accessible à toutes est pour nous quelque chose de totalement insurmontable. On peut alors développer un sentiment d’injustice et de jalousie qui nous fait nous sentir un peu minable… Depuis qu’on a publié notre livre, on reçoit beaucoup de témoignages extrêmement touchants de femmes nous disant qu’on a su mettre des mots sur ce qu’elles ressentaient sans oser l’exprimer. Je conseille donc à tous les proches de personnes étant dans ces parcours d’en parler, de les écouter et de leur montrer qu’il n’y a rien d’honteux ou d’inavouable dans le fait d’avoir ces sentiments assez ambivalents.
Julie : Oui, je conseillerais d’être présent par tous les temps et de demander avant tout « comment vous sentez-vous ? ».